Une rencontre inattendue

J'imaginais souvent pendant mon enfance de fières et altières comparses, une nation de jeunes femmes prêtes à tout pour arrêter la guerre, Eva la iopette, Xilo la sadida, Amak la sacrieuse, Gob l'eniripsa, Dam l'ecaflip, Fifi la pandawa… des amies imaginaires. Je passais souvent le nez collé aux fenêtres de ma chambre et voyais passer toutes les classes de la nature. J'imaginais telle ou telle jeune femme comme une amie, une sœur, prête à verser son sang pour moi, jeune iopette fragile, souvent en proie à des maladies qui m'obligeaient à rester alitée.
De grandes bannières étaient portées, des oriflammes portant l'image d'une colombe ou d'un phénix sur un fond de flammes.

Purification.

Souvent cette image revenait et je pense à présent que c'est parce que ma santé était précaire. J'imaginais des scènes de batailles héroïques, de preux chevaliers, les srams m'effrayaient avec leurs masques mortuaires (je ne savais pas que c'était leurs vrais visages heureusement), je rêvais d'un monde merveilleux où tout aurait un sens, où les bons ne pourraient être que bons. Et où j'étais du " bon côté" , forcément.

J'allais souvent jouer dans la forêt pas très loin de l'église, près des rivages d'Asse, je maniais des bâtons en imaginant que ce fût des épées de Boisaille, si j'avais su qu'il y avait des épées plus offensives encore j'en aurait été terrifiée. Mais je ne l'aurais pas dis comme la petite fiérote que j'étais, le visage grêlé de tâches de rousseur, mes cheveux roux se prenant dans les branches qui écorchaient au passage ma peau pâle. Une véritable sauvageonne digne des récits des voyageurs qui traversaient le pays. J'étais fière de mon second prénom : Brünhild, qui signifie " le bouclier de guerre " . Oui, j'étais une farouche guerrière moi, Alison aux pieds nues, plus grande des filles de ma classe.

Un jour que j'étais parti cueillir des baies et des fleurs je tombais en arrêt devant une bien singulière escorte. Je vis une kyrielle d'eniripsas tous plus mignons les uns que les autres, ils s'en allait, fiers et altiers en prononçant d'incompréhensibles paroles, une sorte de gazouillis mêlé de chuchotements. Cette langue me parut une véritable mélopée à mes oreilles, comme une sorte de mantra hermétique. Je tombais en extase, mes cheveux se dressèrent sur ma tête quand un des eniripsas tourna la tête pour le fixer. Je m'enfonçais une peu plus dans les feuilles du buisson où je me cachais pour observer cette étrange saynète.
Trop tard, il m'avait vu et venais vers moi. Pire, l'escorte s'était arrêtée. Par ma faute.
Je déglutis, ne sachant pas si je devais prendre mes jambes à mon cou, peut-être avais-je interrompu une cérémonie sacrée ? Peut-être ne devait on pas les voir ? Peut-être me prenaient il pour une espionne ?
C'est à ce moment là que je vis l'objet de toutes leurs attentions. Au milieu d'eux se trouvait une dame magnifique accompagné d'un chevalier iop plus en retrait, difficile à dire si la dame était une féca mais elle en avait tout le maintien. Elle aurait pu être cra aussi mais aucun arc n'était à proximité… toute de blanc vêtue son port altier laissait comprendre qu'elle était une personne de haut rang et de grande valeur.
L'eniripsa me fit signe de sortir de ma cachette si peu acceuillante. Ce que je fis sans broncher.
- Dame, voici une bien curieuse jeune tourterelle. À moins que tu ne sois une petite sauvageonne, quel est ton nom ?
- Alison messire Eniripsa, Alison Brünhild, pour vous servir.
- Fi donc, mais en plus d'avoir de jolis yeux verts tu sembles connaître les règles de courtoisie, la preuve en est que tu ne m'as encore posé aucune question sur cette escorte alors que visiblement tu brûles d'en savoir plus petite curieuse…
- Messire, à langue trop pendue on risque parfois de la voir se faire arracher. Je peux aussi clore mes yeux céans et effacer cette vision de ma mémoire si je risque quelques périls.
- Non pas, Damoiselle, non pas. Rien de secret, nous cherchons juste le chemin le plus court pour rejoindre une auberge, notre escorte n'est pas officielle, point d'étendards ou d'oriflammes à votre vue, j'accompagne Dame Christy Feather d'Azur et Sire Hélain de Méliaduc dans ces contrées amicales, je suis Angibaud Cerisette, chancellier. Mon escorte nous protège ces nobles gens des mulous ou du chêne ancestral…
- Pour le mulous vous ne craignez rien messire, ils sont plutôt vers Litneg à ce que j'ai pu lire, et le chêne ancestral se trouve vers la Plaine des Scarafeuilles, à quelques lieues d'ici, tout dépend de la direction que vous voulez prendre…
- Quelle habile façon de me poser une question sans en avoir l'air, vraiment : " Où allons nous ? "
Il sourit , je rougis.
- …
- Nous allons vers Bonta tout d'abord, nous venons d'accoster près des Rives d'Asse, une avarie nous a contraint à mettre pied à terre, nous venons d'au-delà de Moon, du levant et nous allons au ponant.
Le " tout d'abord " résonna à mes oreilles : il y avait bien des terre au-delà, on ne pouvait aller bien plus loin que Bonta au ponant sans carte.
- Puis-je me permettre une question cette fois non dissimulée Messire Cerisette ?
- Si je puis y répondre il m'agrée.
- Voulez-vous dire que vous irez au ponant bien " au-delà " de Bonta ? Nos livres ne connaissent aucune carte ni aucune information sur ces terres…
- Bien sûr qu'il y a des terres au-delà de Bonta, et même une autre mer, d'autres montagnes… d'autres peuples… la connaissance de ces régions viendront en leur temps, la guerre entre les démons et les anges vous empêche d'y voir plus clair. Seuls les cœurs purs pourront un jour oser s'aventurer au-delà de vos frontières, les cœurs purs et les âmes vaillantes, Damoiselle. Serez-vous une âme vaillante ?
- Oh… bah… euh… Oui, j'y aspire mais je suis jeune et…
- La jeunesse n'a rien à voir là-dedans, vous arrive-t'il de voir les choses par les yeux de votre cœur ? De regarder une libellule voler au-dessus de l'eau et d'être heureuse de la contempler ? De sentir le frisson parcourir votre échine à la vue d'un abraknyde et pourtant d'en admirer la beauté ? Tant que vous vous émerveillerez, même des choses les plus étranges alors vous serez jeune, Damoiselle Alison. Maintenant nous devons repartir, resterez-vous dans vos branchages toute la journée ? Vous risquez de vous faire piquer par des araknés ? me répondit-il en souriant.
- Oh, Messire Cerisette je ferais bien un bout de chemin avec vous si ma présence ne dérange pas les nobles gens. - osais-je avec témérité.
- Je pense qu'ils n'y verront pas de problème, vous êtes leur libellule ou leur abraknyde à eux et ils n'auront pas de déplaisir à côtoyer une Damoiselle de la région, ils apprendront sûrement beaucoup de vous, des mœurs de la région, de vos coutumes et de vos superstitions… - il se tourna vers la Dame - Madame, cette jeune personne peut-elle cheminer à nos côtés le temps de traverser la forêt, vous feriez lui bon accueil ?
- Messire Cerisette vous savez bien qu'un peu de discussion m'irait à ravir, où allez-vous jeune personne ? Et quel est votre nom ?
- Madame je me nomme Alison Brünhild… Agarwaën.
La dame sursauta ostensiblement.
- Pardon ? C'est impossible. La famille Agarwaën n'appartient pas à cette contrée et il ne se peut que vous portiez leur patronyme jeune fille.
- Pourtant c'est bien le nom que je porte Madame.
- Bien, nous verrons cela, accompagnez nous jusqu'à votre village nous prendrons la direction de Bonta après nous être reposés et avoir trouvé des montures adéquates pour notre route.

Cheminant près de la grande dame je sentis une immense bonté émaner d'elle, bonté qui me fit me découvrir. Elle me décrivit des pays merveilleux et des mœurs étranges où se côtoyaient héros et créatures fantastiques, elle s'enquit de savoir si un culte lié au Dark Vlad avait vu le jour et me parla du labyrinthe comme si elle l'avait déjà connu. Je restais stupéfaite de tant de qualités et de connaissances. À l'heure de nous séparer, à la lisière de la forêt d'Amakna elle me prit les mains et me dit ceci :

- Jeune Alison, continuez à vous instruire et écoutez moi bien. Si ce que vous m'avez dit est vrai vous êtes une Agarwaën et vous avez deux frères prénommés Mæl et Ner, vos parents vivent au nord ouest de Bonta dans une contrée appelée Ulwarth et votre destin sera sans doute un jour de vous rapprocher d'eux. De curieux bruits courent sur votre famille jeune Alison et que vous soyez ici à Amakna n'est pas innocent. Il y a beaucoup de troubles à Ulwarth en ce moment et nous sommes en route pour rétablir le contact avec certains peuples là-bas, il est arrivé un grand tourment. Je vous demanderais la plus grande discrétion sur tout ce que je viens de vous dire et vous recommande aussi de ne plus révéler à des inconnus votre identité complète. Me le promettez-vous jeune fille ?
- Oui, fis-je timidement… mais Madame souffrez de savoir qu'il est difficile de n'avoir pas de racines…
- Jeune fille, vos racines sont puissantes et il n'est pas temps encore que vous en preniez connaissance si le sort en a décidé ainsi…
- Mais le sort a décidé que nous nous parlions…
- Chut… Il est vrai. Mais, Dame, ma mission est dangereuse et vous êtes beaucoup trop jeune pour que je prenne la responsabilité de vous arracher à ces terres. Croyez-moi mon enfant : poussez, grandissez, épanouissez-vous et fortifiez-vous ainsi vous vous retrouverez un jour sur les chemins de la Providence, épée en main. Vous êtes hardie et curieuse, un jour viendra où vous écrirez les pages de votre existence et où vous vous rendrez peut-être en Ulwarth. Mais ne précipitez jamais ce voyage qui vous serait fatal. À présent nous allons vous laisser, que la Grâce du Tout Puissant vous accompagne jeune Alison. Ne parlez à personne de cet entretien.

La Dame me prit la main et je sentis une douce chaleur vivifiante. Puis ils prirent la route vers le septentrion et je rentrais chez moi, dans ma petite chambre.

Oubliées mes amies imaginaires Eva, Xilo, Amak, Gob, Dam et Fifi, je venais de rencontrer des personnes si belles et si gentilles que je me sentis bien crasseuse, souillée de terre et de racines. Dame Christy Feather d'Azur, Sire Hélain de Méliaduc, Angibaud Cerisette et leur cohorte d'éniripsas. De bien nobles visages alimenteraient mes journées d'hiver devant la cheminée, à l'heure où crépiteront les bûchettes de frêne. Et bientôt mon quatorzième printemps.

J'en reste baba d'admiration !




UAmour pour notre Fière Meneuse !

*applaudit*
Magnifique J'ai beaucoup aime ton texte faudra faire un recueil un jour ^^