Mon enfance, par Mademoiselle Alison Agarwaen

Sujet: Mon enfance, par Mademoiselle Alison Agarwaen Lun 25 Sep 2006 - 12:52

Bien. Je m'appelle Alison. C'est le nom qui était noté dans mon petit berceau de branches d'ébène et d'acacia, celui qui fût trouvé un beau matin par le prêtre de l'église d'Amakna au pied d'une colonne. Je braillais beaucoup évidemment (j'ai toujours quelque chose à dire de toutes façons). J'étais habillée d'un petit maillot brodé avec cette devise : † Vehementer Cupio Vitam † . Une tête de mulou rouge était brodée à l'encolure.
Le prêtre qui me découvrit considéra ce " colis " avec surprise, des enfants trouvés il y en a souvent… mais une chose le chiffonna.
La devise, l'emblème et le nom gravés : Alison AUU. Pourquoi abandonner un nourrisson en lui laissant quelques signes distinctifs aussi voyants ? Mon nom avait-il tant d'importance ? Toujours est-il que ses vœux étaient les mêmes pour tous et une des premières des règles des Frères de la Charité d'Amakna était l'hospitalité.

De part ces signes distinctifs étranges il me fit placer chez son bedeau et sa femme, une couturière, et je vécu une enfance assez heureuse quoique fort modeste. Le soir on mangeait une soupe et quelques graines, le matin c'était des fruits, je jouais dans les champs avec les garçons, je grimpais aux arbres, mais je ne pouvais pas aller trop loin à cause des abaknydes. Je grandis quoiqu'étant un peu malingre pour mon âge. Je tombais souvent malade, j'étais chétive et timide et la forêt me rendait timorée, j'aimais les plaines et les rivières. J'allais à l'école (celle qui fût détruite suite à la guerre Bonta/Brakmar) et mes camarades de classe se moquaient de moi à cause de mes tâches de rousseur (en même temps " super piège à garçons " comme je pu le constater plus tard, avec rousseur et yeux verts lvl100 c'est fatal, hi hi).

Je grandis, l'école détruite je suivis des cours de mythologie, de sciences et de métaphysique auprès du prêtre. Il se faisait vieux et je remarquais alors qu'il avait toujours parlé avec moi avec une certaine déférence et une sorte de gène. Petite, je pensais que c'était lié à mon statut d'orpheline mais je constatais qu'il n'en était pas de même avec les autres enfants de la communauté. C'est à ce moment qu'il m'apprit à lire le latin. Il me disait toujours : " n'attend rien des autres, fait par toi-même parce que ce que tu fais te fait " . Je compris qu'il voulait que je puisse lire la devise sur mon petit maillot. Je suivis ses cours avec assiduité ce qui me permit aussi de pouvoir apprendre quelques textes magiques (sans m'intéresser à la goétie).

Un jour il vint me voir, alors que je jouait sur la route, j'avais 16 ans. Je traçais des cercles sur le sable de la route avec une petite baguette, accroupie, le menton sur mes genoux écorchés.

" Alison, il faut que je te parle, je suis vieux à présent et un nouveau prêtre arrivera bientôt pour faire les messes et les sacrements, je pense que c'est le moment pour t'expliquer quelque chose. Tu es jeune mais je pense que tu comprendras. "

Je le regardais, un peu surprise qu'il m'entretienne aussi directement. Encore plus quand il me demanda à l'accompagner à la bibliothèque pour me confier un " secret " . Aussitôt arrivés il m'invita à m'assoir près de la grande table en chêne.

" Voilà Alison, tu me poses un souci… Et j'en ai gros sur le cœur. Tu es une gamine très gentille et tu as compris ce qu'était la charité, tu es noble dans ton cœur, je sais que ça te causera des tracas mais tu apprendras aussi à compter sur toi, sur ta jugeotte et ton tempérament… Tu vas devenir une jeune fille, je sais que tu est un peu entêtée et que tu fais de temps en temps des farces dans le village mais tu as toujours su respecter certaines limites… Enfin, assied toi, je vais te montrer quelque chose de très important et que tu devras garder en mémoire. D'ailleurs je ne pense pas que tu puisses oublier ça, ça te concerne principalement.

Il prit sa respiration avant de continuer…

" Vois-tu, le monde est vaste et les cartes sont peu fiables pour le moment… On va aussi loin qu'on le peut mais il y a des limites à l'exploration des territoires encore sauvages. Les sages pensent qu'il existe des royaumes au-delà des mers près de Wabbit, d'autres à l'Est de Bonta ou par delà les Plaines de Sidimote…
Tu sais, je lis beaucoup et j'ai quelques manuscrits de voyages… comme celui-ci. "

Il sortit de sa poche un petit carnet de route très abîmé, à la couverture passée par le temps, le cuir en était tout écorné.

" Regarde là, tu vois, ce livre conte les aventures d'un voyageur qui est passé à l'ouest de Bonta. Il raconte ses périls et tu vois il cite quelques contrées inconnues. Jusqu'alors je n'y voyais que fables. Mais les fables sont souvent des images travestissant la Vérité.
Ici c'est son trajet. Il y a différents noms. Et sur ce voyage là figure le nom d'Ulwarth. Ce mot signifie le pays " Sanglant " selon les anciens termes. On dit que la terre est rouge là-bas et que les gens y vivent en castes féodales. Ce pays est peuplé de créatures semblables aux mulous. Et d'ailleurs, un autre nom pour désigner une puissante famille là-bas est Agarwaen qui signifierait les " Ensanglantés " , c'est une déclinaison du mot Ulwarth et cela signifie alors que cette famille habite là depuis très longtemps puisqu'ils portent d'une certaine façon le nom de leur pays… Jusqu'à ce que je te découvre je pensais qu'il s'agissait de récits allégoriques. "

Il se leva et alla chercher un gros recueil qui contenait une de série de livres reliés entre eux avec de magnifiques enluminures, je ne comprenais toujours pas quel était le rapport entre ce qu'il me disait et moi. Mais à l'école on disait bien " bête comme une iopette. " J'ouvris de grands yeux quand, après être monté sur une échelle, il attrapa le plus gros volume du rayon du haut, celui que je n'avais jamais réussi à déplacer quand je m'introduisais en cachette dans la bibliothèque. Curieuse que j'étais !

" Regarde maintenant cet ouvrage, il s'agit d'un codex très précieux, il rassemble les grands noms des alliances du temps jadis. Pour moi c'est de la mythologie tu sais mais il y a une chose curieuse que j'ai relevé. Regarde ce blason " .

Le blason en question représentait un mulou rouge sur fond de rayures blanches et noires verticales. La devise " Vehementer Cupio Vitam " s'étendait au-dessus en un mince phylactère fait d'onciales vertes. Le mulou était surmonté d'une couronne dorée. L'or sur le document formait une pellicule… je n'avais jamais vu cette matière. De l'or de craqueleurs…
…cependant je me ressaisis et laissais exprimer ma surprise.

" La devise ! " (Je commençais à saisir qu'elle fût sa surprise en me trouvant, il fallait connaître ce livre ou ces histoires pour broder ces mots sur un tissu, et savoir que le Père comprendrait un jour qu'il y avait un message).

" Oui, voilà ce qui me chagrine Alison. Tu n'as rien à faire ici. Ta famille c'est elle. C'est ce blason la clé. Tu vois, il s'agit d'un mulou en gueule couronné sur fond de gueules. Les gueules ce sont les bandes rayées et le rouge se dit gueule aussi, et il y a un jeu de mots car on dit aussi " tomber dans la gueule de mulou " , ce qui veut dire que ta famille est puissante et sait se défendre. Ton nom serait Alison Agarwaen et tu viendrais de là-bas, du pays d'Ulwarth. "

" Alison l'ensanglantée ? " (Je souris intérieurement, les gamins d'Amakna n'auraient qu'à bien se tenir dorénavant).

" Oui, et cela correspond aussi au feu de tes cheveux. "

" Oui mais la broderie précisait Alison AUU… "

" Justement Alison, j'y arrive. Le clan Agarwaen était connu naguère pour sa cordialité envers les mulous. Tant est si bien que vos ancêtres étaient représentés sous la forme de mulous rouges. Je ne peux guère t'en dire plus sinon qu'il y a des Ulfdinns chez vous… "

" Des quoi ? "

" Des Ulfdinns… Des hommes-mulous. Ou des mulhommes. C'est une vieille croyance que de croire que les hommes se changent en mulou… Je n'en ai jamais vu… mais il paraît qu'un iop qui entre en fureur est proche de cet état bestial. Il faut être fort cependant pour maîtriser tout ceci. Pour ne pas éventrer ses amis, pour ne pas périr sous ses propres coups et… pour ne pas devenir fou. "

" … " (je déglutis) " Mais je suis une iop pas une Ulfdinn ! "

" Tu es une Ulfdinn Alison, en tout cas, c'est ce que me laisse à penser tes initiales. Une Ulfdinn d'Ulwarth. On dirait, en Amakna, une femme-mulouve… Être Ulfdinn c'est un état pas une race. Tu es Ulfdinn comme le tavernier est boiteux, comme le serpent enfante en faisant des œufs, c'est la nature qui décide, Alison. Tu es une iop, mais tu as du sang Ulfdinn, du moins c'est ce que semble présager tout ceci. "

Voyant que je restais pétrifiée à cette nouvelle que j'étais une chose que je ne connaissais pas il reprit, plus doucement : " Mais rien ne prouve que ça existe autre part que dans les contes, cela veut peut-être dire autre chose rassure-toi. "

" … " (J'avoue n'avoir toujours pas compris ce qu'il voulait dire mais comme il l'a dit je le relate).

" Alors écoute, tu vas aller chercher dans les plaines et les bourgs un maître d'arme et tu vas apprendre à te battre, tu n'es pas fille à rester dans un village, à être paysanne, si tu veux un jour aller vers Ulwarth il faudra savoir te défendre. Parce que je te connais depuis toute petite Alison, tu es curieuse et instruite… Et un jour ce sera trop petit pour toi ici et tu partiras faire ta vie et voir le monde. Apprend la technique des épées, va voir le forgeron d'Astrub de ma part. Bien sûr tu ne le feras pas tout de suite, je te laisse t'habituer à cette idée et m'en reparler si besoin. Simplement, Alison, si tu as été placée ici c'est pour garantir ton anonymat, il y a peut-être une raison politique. Ton moyen de connaître tes vrais parents est de t'instruire toujours et encore, de savoir parler aux gens pour avoir des renseignements, de savoir te faire invisible si tu sens une menace planer. Tu devras aussi choisir tes amis avec soin, surtout des gens plus jeunes que toi, parce qu'ils ne connaîtront jamais ton histoire. Ce sera ta sécurité… "

" Mais… mais… je ne suis pas en danger, mon Père. Je n'ai rien fait de mal… Je… "

" Écoute mes conseils Alison. Si on t'a déposée devant cette église c'était pour qu'un jour quelqu'un vienne te chercher. Simplement, assure-toi auparavant que ce sera la bonne personne… Je ne sais pas qui sont tes parents ni ce qu'ils font, si ce sont des gens nobles de cœur comme toi, mais si on t'a cachée c'est qu'il doit y avoir une raison et tout ce que je viens de te dire doit rester secret.
Rien n'est jamais caché longtemps, une fois la guerre entre Bonta et Brakmar terminée les routes commerciales reprendront leurs activités et il te sera plus facile d'aller au-delà de Bonta par tes propres moyens. Aguerrie toi, travaille, apprend à te défendre. Prie au temple Iop chaque jour. Et tu devras aussi chercher appui à la milice de Bonta. Plus tard si tu sais t'y prendre tu chercheras une Razielle, une épée de chevalier tellement puissante que les grands trembleront devant la jeune fille que tu es. Ne t'en sers jamais pour faire le mal. Excuse les gentils pour leurs manières simple, pardonne aux méchants. Ne cherche pas querelle inutilement. Et si besoin, assure-toi des amis dans une Guilde, tu seras protégée si ce sont des gens solides. Et puis écoute les hommes parler, habitue toi à leur manières frustres, aux gens déloyaux, aux voleurs. Soit loyale et franche. Je sais que tu as de l'humour mais méfie toi aussi, parfois tu peux blesser plus faible que toi.
Un jour tu iras trouver les Sérianes et tu leur offrira de monter une expédition à tes frais quand tu seras adulte. Je te dis ça aujourd'hui car je ne veux pas que tu perdes du temps. Je ne veux pas que tu sois menacée Alison, hélas ta condition laisse à croire qu'il est possible que cela arrive. Une dernière chose, dans ton berceau il y avait une importante somme de kamas, suffisamment pour t'élever jusqu'à ce jour, je pense que le message était clair, on m'a demandé hospitalité et protection et on ne l'a pas fait au hasard. "

Ne sachant que répondre je pris la résolution de jurer de suivre ses conseils comme une enfant ne sachant pas très bien ce qu'elle promet. Cette histoire m'apparaissait comme une énigme, non pas que j'y crûsse à tout crin mais simplement parce qu'elle me semblait parfaitement invraisemblable, j'en étais presqu'à me demander si ce n'était pas pour me donner un peu d'importance ou de courage. Le Père savait bien qu'en me parlant comme ça il flatterait mon ego et mon imagination. Ce n'était pas dans ses principes de mettre les jeunes bouftons que nous étions sur les voies du péché, celles de l'orgueil et encore moins d'enflammer l'imagination d'une frêle iop comme moi, déjà rêveuse de son prince charmant et d'aller visiter l'île de Moon et ses plages de sable fin. Non, ce n'était pas un cadeau que cette histoire, elle m'apportait doute et me replongeait dans les terreurs enfantines de l'incertitude de mes origines, moi l'enfant déracinée.
Autre chose aussi, il ne m'avait pas parlé de la devise. Mais il savait que je comprenais sa signification : † Vehementer Cupio Vitam † : † Je désire la Vie avec ardeur † . Une devise chevaleresque.

De gamine heureuse de vivre bien que triste à l'idée d'avoir été abandonnée je fus anxieuse certains soirs devant la pourpre flamboyante du ciel d'été au-dessus des champs de blés quand l'astre décline au couchant. Je devins excessivement rêveuse me demandant quand il serait temps d'aller à Astrub ou à Bonta. Je me voyais, grelottante à l'arrière d'une charrette sous la bise mes cheveux roux collés sur mon visage par les larmes d'un départ précipité, d'une fuite.

Et c'est ce qui arriva finalement…
on était venu me chercher.

AAUU